Ce n’est pas qu’un vœu pieux. Loin de ne servir qu’à déboulonner les dictateurs ou faire circuler le dernier mème à la mode, les réseaux sociaux pourraient donner aux marques une nouvelle virginité.
La métaphore religieuse s’impose tant les annonceurs ne communiquent plus avec leurs clients mais communient avec des fidèles, tant les community managers ont remplacé les prêtres, le brand content les psaumes, les apple stores nos cathédrales… sans oublier la quête à la fin de l’office.
Certains auraient même vu des banderoles santo subito aux obsèques de Steve Jobs.
La tentation des Marie-couche-toi-là
Comment en est-on arrivés là ? Sûrement la faute aux agences qui prônent une discussion décomplexée avec les cibles de leurs marques clientes jusqu’à s’en prendre les pieds dans le tapis comme Canal+ et le Bohringergate. Ces mêmes agences qui rivalisent de films allégoriques pour véhiculer l’âme des marques : qui ne s’est pas émerveillé de l’odyssée de Cartier ? Qui n’a pas été ému par l’envol d’Air France ? Qui n’a pas légèrement ricané devant la première publicité de Facebook, pétrie d’émotions convenues au service d’un inquiétant message ? Qui enfin n’a pas tremblé à l’idée que Felix Baumgarten s’écrase lors de son saut hier et devienne le premier martyr du social marketing ?
À avoir poussé la promesse marketing à son paroxysme tout en se rapprochant au plus près de leurs cibles, les communicants ont tendu la verge pour se faire battre : le consommateur passif est devenu un interlocuteur actif, un alter-ego, un juge. La campagne Cartier a ainsi été saluée par plusieurs prix, 160 millions de téléspectateurs pour 1 milliard d’impressions en display (source Stratégies), la campagne Facebook par des vidéos parodiques et une énième sanction boursière.
Nous voyons tout, nous n’oublions rien, nous ne pardonnons rien
Cette litanie pourrait résumer le credo de toute une génération d’internautes :
Vous nous avez rendus esclaves de vos biens de consommation, vous nous avez apporté la peste de l’obsolescence programmée, vous nous avez drogués d’espoirs marketing déçus, et bien aujourd’hui nous dénonçons, partageons et amplifions tous les signaux faibles des mécontents, nous vous montrons du doigt dans toutes vos bassesses commerciales, vos traquenard marketings, vos mirages publicitaires. Nous sommes les 99%. Nous sommes vos clients. Du moins nous l’étions.
Satisfaisez un consommateur et il en parlera à 3 personnes. Décevez-le et il en parlera à 3000 avance Pete Blackshaw, patron du social media chez Nestlé. Le tout à la vitesse de la lumière ! S’il se trouve par malheur un blogueur influent parmi les followers de votre client mécontent, vous êtes bon pour un communiqué de crise.
Attaque de la marque employeur ou des valeurs de l’entreprise (comme la médiatisation des grèves et des révoltes dans les usines Foxconn, premier sous-traitant d’Apple), des techniques commerciales ou encore du moindre fail dans la chaîne de satisfaction et vous-voilà la cible au mieux d’un gif parodique, au pire d’une vague de mécontentement mettant en péril la valeur de votre marque.
L’heure de la pénitence et de la rédemption
Combien coûte-t-il de camoufler les erreurs, combien d’heures faudra-t-il pour nettoyer les commentaires virulents, combien de temps l’image restera entachée ?
Au grand jeu du ROI, nul doute qu’une démarche dépourvue du pêché originel sera plus efficace au long terme. S’il est difficile de mesurer ce que l’on gagne, marginalement, à se comporter vertueusement, il est sûrement plus simple de mesurer ce qu’on pourrait perdre à voir les cadavres sortis des placards et exposés sur les réseaux sociaux.
Et si payer correctement ses collaborateurs coutait moins cher que la dégradation de l’image employeur issue d’un simple tweet haineux ? Et si ne plus exagerer jusqu’au mensonge les vertus d’un produit permettait d’en vendre plus, en s’attachant à communiquer davantage sur des valeurs plutôt que sur des artifices ? Et si on donnait plus de transparence – c’est d’ailleurs le thème du numéro 2 de la revue Tank – à ses actions plutôt qu’à noyer le poisson dans du brand content parfois abscons ?
Volontaires ou contraintes par la peur du bad buzz, les marques doivent désormais être respectables : c’est le prix des Indulgences !
Crédit illustration : Gaston Yagmourian